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Grotte de Rouffignac

 

     
Fragments de Temps

              

Jean-Paul Raymond

 

 

 

La lumière, la transparence, la luminosité des couleurs, sont les qualités du verre, qui m'ont fortement fasciné depuis toujours. Enfant, j'étais attiré par la douceur tranchante des lames en silex que j'admirais au musée des Eyzies dans la vallée de la Dordogne. Des corps puissants des animaux peints dans la grotte de Lascaux émanaient une force semblable à ces objets de pierre. Les sculptures de Giacometti à Saint Paul de Vence, les découpages de Matisse, les profils de Cocteau, les céramiques et assemblages de Picasso étaient simples, bruts, rayonnaient d'une force primitive. Tout ceci, je l'ai vu dans mon enfance.
Le verre est séduisant, lisse, sa surface à elle seule est provocante. Mais je voulais découvrir sous cette surface la matière, lui donner son relief. J'ai dévoilé une à une les strates de couleurs du verre soufflé multicouche. Plus tard, j'ai travaillé les blocs de verre optique à l'aide du marteau, du burin, et des chocs thermiques. C'est aussi un travail très sensuel, et il est difficile de dire, si c'est la matière qui m'a conduit, qui a réveillé les souvenirs de l'enfance ou les images du passé qui m'ont guidé.

Bien que j'aime l'harmonie, les contraires m'attirent de façon magique. Que signifie ce passé vieux de 30 000 ans dans la vallée de la Dordogne? Aujourd'hui il y a Cologne, Paris, Bordeaux, New-York. C'est là le monde de la finesse, de la subtilité, le monde intellectuel, de l'esthétique, et de l'autre coté celui des origines, celui de la force. Pour moi, le verre réunit ces contradictions. C'est là son charme et son défi.

J'ai intitulé cette installation "Fragments de temps". Les objets que je présente invitent à s'interroger sur le destin de ces Hommes vivant aux cotés d'une faune magnifique qui faisait partie de leur environnement spirituel, religieux et esthétique. La Grotte de Rouffignac apporte le témoignage du savoir-faire et de la spiritualité des habitants de la Vallée de Vézère il y a 14500 ans.

Les objets en verre ont été créés dans le musée-verrerie de Gernheim (Allemagne) : Défenses de mammouths, "crâne-trophée", "masques", haches, sagaies...

Les Vénus de Lespugue et Sireuil sont en pâte de verre (cristal). C'est une technique de fusion du verre dans un moule à la température d'environ 900 degrés. Le moule étant fabriqué autour d'un modèle de ces deux Dames en cire que l'on fait fondre. Il en résulte une empreinte dans le moule. Cette empreinte est ensuite emplie de groisil (petits morceaux de verre) porté à la température sus-indiquée. Le refroidissement dure un jour et demi.

 

Jean-Paul Raymond

1948                   né à Brive le 30 décembre 1948, France
1967 - 1974       études à Bordeaux
1991                  académie d'été à Frauenau, Allemagne
depuis 1993        vit et travaille à Cologne, Allemagne
1997                  symposium du verre à Lauscha, Allemagne
1998                  symposium du verre à Novy Bor, République Tchèque
depuis 2003       enseigne à l'Institut d'Etudes Supérieures Verre et
                          Céramique de Hôhrgrenzhausen

Collections Publiques (liste non exhaustive):

Musée des Arts Décoratifs, Paris (F) - Musée de la Mer de Berck (F) Musée National de la Céramique de Sèvres (F) - Musée du Verre de Sars Poteries (F) - Glassammlungen Veste Coburg (D) - Glasmuseum Lommel (B) - Museo Del Vidrio Alcorcon, Madrid (ESP)

 

2012

Jean-Paul Raymond complète son instalation à Rouffignac. Aux pièces exposées dès 2011, s'ajoutent une série de lames de verres taillées et gravées :
Les "lames-sculptures" pour lesquelles l'artsite a dû réinventer quelques-uns des savoir-faire des tailleurs de silex de la Préhistoire.

 

 

Sur l’exposition des lames en verre et cristal dans la grotte de Rouffignac

Le cristal et le verre optique sont des matériaux très proches du silex. Et le projet de façonner des lames en ces deux matières présente des difficultés insoupçonnées et ouvre brusquement les portes d’un monde singulier : Le monde de ces artisans de «  la nuit des temps » comme disait René Barjavel, de ces maîtres oubliés qui ne peuvent plus guider la main de personne. J’étais livré à moi-même et devais ré-inventer techniques et outils pour parvenir à mes fins.

Un véritable apprentissage commença lorsque j’entrepris de tailler le premier objet qui allait plus ou moins (plutôt moins) ressembler à une lame en feuille de laurier : forme que maîtrisaient nos lointains ancêtres. Mais la lame cassa. L’ultime retouche pour affiner la pointe lui fut fatale.

Dès lors de déboires en succès et des dizaines de kilos de débris de verre plus tard, j’appris à contrôler l’incidence de frappe de l’outil sur le bloc de verre pour le dégrossir, la manière dont il faut tenir l’objet au cours de la taille, la force nécessaire pour retoucher le verre au bon endroit et épurer le profil de la lame.

En outre le regard que je portais sur l’objet durant sa réalisation s’avérait essentiel. Car l’esthétique joue un grand rôle dans la phase finale de la fabrication des "lames-sculptures". Je ne puis m’empêcher de citer à ce propos ces lignes du préhistorien Michel Lorblanchet :

« La beauté de la plupart des outillages préhistoriques éclate au premier coup d’œil ; elle est trop évidente pour n’avoir pas été voulue par leurs créateurs, puisque les outils sont les premières créations de l’homme. N’oublions pas qu’une attirance pour les beaux outils et les belles matières, caractéristique à la fois du collectionneur et du maître artisan, a contribué à fonder la science préhistorique elle-même et à favoriser la rencontre entre le préhistorien et l’homme de la préhistoire, dont on ne peut nier la proximité de certaines dispositions… »

 

J’oserais ajouter que l’on ne peut nier non plus la proximité, les relations presque spirituelles liant l’artiste et les hommes créateurs de ces artéfacts dont parfois la splendeur des matériaux utilisés me laisse pantois d’admiration. Ils se servirent dans certaines régions «   de jaspe jaune d’or, ou de silex noir de jais du crétacé…ou de roches moins aisées à tailler, comme les calcédoines » ( Jacques Tixier in « les origines de l’art » de M. Lorblanchet).

Et je me prends à rêver.

Ils taillèrent aussi un verre naturel : l’obsidienne d’origine volcanique, un verre noir comme la nuit. Mais que n’auraient-ils fait de cette extraordinaire matière qu’est le cristal, le verre optique ? de cette transparence, de la lumière qui se brise en une multitude d’éclats le long des profils retouchés ?

Modestement j’ai tenté de répondre à cette question. Mes lames-sculptures on été une humble réponse, la virtuosité du geste restant hors de ma portée. Dans l’écrin du temps, le secret de la naissance de l’art est bien gardé.

Et je laisserai la conclusion encore à Michel Lorblanchet :

« Dans la création des outils, la forme dépasse la fonction ; et il en fut de même dans la création artistique, c’est-à-dire dans la création des « outils spirituels » que sont les images… L’homme se caractérise par sa volonté de dépassement de lui-même dans tout ce qu’il entreprend.»

Jean-Paul Raymond, Cologne, avril 2012

Bibliographie : Michel Lorblanchet, 2006 - Les origines de l’art,  éditions le Pommier/ cité des sciences et de l’industries

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